PORTRAIT D'UN MARIN



Il s'appelait Jean Renaud. Né à Saint-Servan le 28 mai 1892, la Bretagne fut pour lui une vraie patrie.
Elevé dans l'esprit malouin, il fut bien sûr marin. Je me souviens de son plaisir à me raconter
qu'il avait fait 9 ans de marine, dont 2 années pendant la guerre 14-18 alors qu'il faisait son service militaire.
Dunkerque et son port mouraient sous les bombes.

Je me souviens aussi de ces longues et bonnes soirées, après le repas, au cours desquelles il me racontait
qu'il avait réalisé les premières liaisons radio transatlantiques sur les voiliers du long-cours.
A l'époque, il fabriquait lui-même ses postes avec les moyens du bord.

Il me racontait aussi qu'il avait " enterré " les derniers voiliers nantais de la marine marchande. Il a fait partie
de ces miraculés de la mer car, au cours d'une tempête, une vague l'emporta par-dessus bord, une autre le ramena
sur le pont, et ce fut le grand-mât qui l'arrêta. Le crâne quelque peu endommagé (mais pas fêlé),
il resta quelques jours dans le coma mais il s'en sortit gaillardement !

Mais il n'était pas seulement marin. Il fut aussi un technicien qui avait suivi des cours aux Arts et Métiers.
Outre ses compétences en radiotélégraphie, il travailla sur la mise au point des moteurs de traction
et participa aux premiers essais d'électrification des lignes SNCF en direction du Mans.

Pour compléter le tout, il fut également un excellent musicien, 1er violon à l'Opéra (pour lequel
il fabriqua même un tambour de qualité). Il fut un admirateur fervent du Bagad de Lahn-Bihoué.
Il nous jouait souvent du violon quand on se réunissait en famille.

Bien que les guerres et l'entre-deux-guerres ne lui aient pas rendu la vie facile (comme à tant d'autres,
malheureusement), il a toujours gardé une grande joie de vivre, se tenant quotidiennement aux côtés de
son épouse Louise, ma grand-mère bretonne née près de Lannion, ma " mam-goz ", prenant soin de ses
enfants et petits-enfants, et il rendait service sans compter à tous ceux qui venaient chercher son aide.

Enfin, je me suis toujours souvenu de ses paroles lorsqu'il me disait, alors que je commençais
mes études en électricité : " Essaie de faire mieux que moi ".
J'espère avoir fait presqu'aussi bien que lui. Et je continue un peu, encore, car il m'a souvent emmené
à la pêche quand j'étais tout môme, il m'en a appris tous les rudiments... et la retraite me permet
de reprendre aujourd'hui cette activité de loisirs. Et cela me fait penser souvent à lui.

Jean Renaud, Jean de Saint-Servan, qui nous a quittés en 1964, fut pour nous une référence
et il le reste encore aujourd'hui.
Je vous présente son cahier, le seul qu'il ait écrit, à ma connaissance, et dans lequel il raconte
un voyage au long-cours (le premier qu'il a fait, je pense) sur un voilier de la marine marchande
(Les Chargeurs de l'Ouest).

J'ai pris soin de le découper en deux parties :

a/ " montcalm.pdf " qui décrit son voyage depuis Cherbourg jusqu'à Adélaïde, du 18 novembre 1918
au 13 mars 1919. La carte du voyage vous donnera un aperçu du trajet effectué par ce voilier.
J'ai pris la liberté de corriger par endroits le texte original pour rectifier quelques fautes d'orthographe,
quelques accords, quelques ponctuations, afin de le rendre plus agréable à lire. Les conditions et
l'environnement ont, à mon avis, été souvent peu propices à la concentration nécessaire.
Quelques mots en italique bleu vous permettront de vous reporter aux " mots marins "
qui apportent quelques précisions diverses.

b/ " adelaide.pdf " qui décrit son séjour à Adélaïde pendant le temps de déchargement
et de rechargement du bateau. J'ai été, par ce récit, admirablement surpris par la convivialité
des Australiens et la qualité de l'accueil qu'ils réservaient aux étrangers.

Ce cahier se refermera sur le simple titre du voyage de retour. Mon grand-père Jean n'a jamais
rien écrit à son sujet. Je ne sais pas pourquoi. Mais cela n'a pas d'importance.
Le buvard qui allait sécher les instants de ce futur passé est resté en place. On a l'impression
qu'il attend que l'on parle de lui, que quelquechose ne s'est pas terminé et continue à vivre,
on a l'impression qu'il écoute encore les voiles claquer sous le vent qui fait vibrer les haubans
comme les cordes d'un violon, on a l'impression qu'il guette une île toujours invisible...
qu'il sent encore le sel et les embruns... les souvenirs d'un marin.